J’ai mis longtemps à poser des mots sur mon affinité pour l’aquarelle… cela pourrait se résumer en un mot : l’eau. Je n’apprécie pas vraiment le bruit rêche du pinceau sur une toile. L’aquarelle est paisible, silencieuse, douce et donc apaisante. Si elle l’est pour les artistes, il me semble qu’elle a aussi cet effet apaisant sur le spectateur en observant une aquarelle.
Avez-vous remarqué combien, depuis toujours, l’eau fascine et inspire les artistes ? En aquarelle, elle n’est pas seulement un sujet pictural, mais aussi un élément technique fondamental. L’eau influence la transparence, la fluidité et le mouvement des pigments.
Peindre l’eau, c’est travailler avec elle, accepter son imprévisibilité et en tirer toute sa poésie. Mais au-delà de son rôle dans la peinture, l’eau porte en elle une symbolique puissante, évoquant tour à tour le temps qui passe, la transformation et la sérénité intérieure.
Telle, unie à elle-même, elle tourne en une continuelle révolution. De ça, de là, en haut, en bas, courant, jamais elle ne connaît la quiétude, pas plus dans sa course que dans sa nature ; elle n’a rien à soi, mais s’empare de tout, empruntant autant de natures diverses que sont divers les endroits traversés.
{ Carnets } Léonard de Vinci
Au sommaire :
L’eau, un langage universel des émotions
J’aime associer l’aquarelle aux mots, mais aussi à certains sons et certaines musiques. Souvent des sons apaisants, évoquant la nature, presque silencieux… comme une méditation.
L’eau est indissociable des émotions humaines. Elle peut être douce et apaisante, comme un lac calme reflétant le ciel ou comme le bruit des vagues, ou au contraire tourmentée, évoquant la colère et la tempête intérieure.
En peinture, la manière dont elle est représentée, la technique utilisée en dit long sur l’intention ou le ressenti de l’artiste : les flots tumultueux traduisent le mouvement et la force, tandis que des eaux stagnantes peuvent évoquer la nostalgie ou le rêve (ou parfois, évoquer la mort). La pluie ruisselante symbolise souvent la mélancolie.
Associée au sel, l’eau peut aussi symboliser les larmes : « Le remède à tout est toujours l’eau salée : la sueur, les larmes ou la mer. » a dit Karen Blixen. Ajouter à ce remède la solitude et c’est parfait ! (Bains de foules, à toute petite dose !) Beaucoup d’artistes aiment être seuls et se ressourcent ainsi, leur pratique de la peinture augmente encore ce sentiment de paix inégalé.
Lorsqu’on se place en spectateur, l’effet de l’eau sur notre perception est tout aussi fascinant : une marine aux teintes froides invitera à la contemplation, tandis que des reflets chatoyants sur une rivière ensoleillée procureront une sensation de légèreté et d’évasion. L’eau, dans sa nature fluide, agit donc comme un miroir émotionnel, révélant ce que nous avons au fond de nous. Alors, si une peinture permet de se ressourcer, c’est tant mieux.
L’eau et le temps : métaphore de l’éphémère
Si l’eau captive autant, c’est aussi parce qu’elle nous rappelle le caractère temporaire des choses. Un ruisseau qui s’écoule, une vague qui vient mourir sur le rivage, une goutte qui s’évapore… autant de symboles du passage du temps et du cycle incessant de la vie.
En aquarelle, cette notion d’impermanence se retrouve dans la technique même : les pigments, portés par l’eau, se déplacent, fusionnent, presque disparaissent parfois sous de nouvelles couches. Peindre avec l’eau, c’est donc accepter de ne pas tout contrôler, de laisser la matière exprimer sa propre dynamique, sa propre liberté. Et nous surprendre… ça, c’est la plus belle part.
Ce rapport entre l’eau et le temps est au cœur de nombreuses œuvres, notamment celles de Turner ou de Monet, qui ont su capter la fugacité de la lumière sur l’eau et en faire un sujet intemporel.
L’eau, source de sérénité et de méditation
Au-delà de sa symbolique temporelle et émotionnelle, l’eau est aussi un élément profondément apaisant, un peu comme une promenade près d’un cours d’eau ou en bord de mer. On y resterait des heures.
Depuis des siècles, les peintres ont cherché à retranscrire cette quiétude : les estampes japonaises représentant des vagues et des rivières (même si ce n’est pas ma plus grande tasse de thé), les Nymphéas de Monet, ou encore les paysages lacustres qui invitent au silence et à la contemplation.
Dans la culture asiatique, l’eau est un symbole de souplesse et d’adaptabilité. Le taoïsme, par exemple, prône l’idée du Wu Wei – l’action dans la non-action – illustrée par l’eau qui suit naturellement son cours sans résistance. Ce concept trouve une résonance particulière en aquarelle, où il faut parfois laisser les pigments se diffuser librement pour obtenir des effets inattendus et harmonieux.
L’eau en art : entre maîtrise et lâcher-prise
L’eau est un paradoxe : elle est à la fois paisible et indomptable, maîtrisable et libre. En aquarelle, elle impose ses propres règles, et c’est en travaillant avec elle plutôt que contre elle qu’on parvient à en tirer toute la richesse.
Cette relation entre l’artiste et l’eau, entre le geste contrôlé et l’accident heureux, est une belle métaphore de la création elle-même : un équilibre entre technique et spontanéité, rigueur et liberté. Un peu comme dans les palettes de nos propres vies, d’ailleurs.
Peindre l’eau : quelques conseils techniques
Représenter l’eau en aquarelle peut sembler délicat, mais en étudiant certaines techniques de peintre, cela permet de capturer sa fluidité et ses reflets :
- Les lavis dégradés : Pour suggérer la transparence et la profondeur de l’eau, utiliser des lavis successifs en jouant sur les intensités de couleur.
- Les réserves de blanc : Laisser du papier blanc pour évoquer les reflets lumineux sur l’eau, ou utiliser du fluide de masquage pour préserver certaines zones.
- Le mouillé sur mouillé : Permet de créer des effets de diffusion et de mouvement naturel, parfait pour les flots ou la pluie.
- Les lavis successifs : Appliquer plusieurs couches légères pour donner de la texture et de la profondeur aux surfaces d’eau calmes.
Quelques artistes maîtres de l’eau en peinture
De nombreux peintres dans divers médiums ont su capter la magie de l’eau dans leurs œuvres :
- J.M.W. Turner : Connu pour ses marines atmosphériques où l’eau et le ciel se fondent dans un tourbillon de lumière.
- Hokusai : Son célèbre La Grande Vague de Kanagawa illustre la puissance et la dynamique de l’eau avec une force saisissante.
- Winslow Homer : Ses scènes maritimes en aquarelle traduisent avec réalisme le mouvement et l’intensité de l’océan.
- Claude Monet : Ses Nymphéas capturent la subtilité des reflets et la tranquillité des eaux stagnantes.
Conclusion
L’eau, que ce soit en tant que sujet, en tant que médium ou en tant que symbole, occupe une place essentielle en peinture et en aquarelle. Elle nous parle de nous, de notre rapport au temps, à nos émotions et à la beauté du monde qui nous entoure. C’est peut-être justement pour cela qu’elle fascine tant : parce qu’en peignant l’eau (ou avec de l’eau), c’est un peu nous-mêmes que nous peignons.
L’eau est une inspiration et une invitation naturelle à la contemplation et à la sérénité : ” Il y a dans le murmure d’une rivière un poème qui apaise l’âme.” (Dexter Yager). En aquarelle, c’est peut-être davantage l’eau qui déteint sur les pigments, finalement, en offrant cet apaisement de l’âme, tant à l’artiste qu’au spectateur.