Ce ne fut pas un voyage ordinaire. Une belle dizaine d’heures de patience pour rejoindre une terre blessée… imprégnée d’Histoire.
Parfois, vous préparez un voyage non pas pour suivre votre passion, mais pour soutenir celle de ceux qui vous sont chers. Et pourtant, vous arrivez vous aussi à y trouver votre compte. C’est exactement ce qui s’est passé cet été.
Car, bien sûr, avec la Normandie, on remplit ses mirettes d’hortensias gigantesques à profusion, d’un défilement de magnifiques paysages, de plages VIDES à perte de vue !! (bye bye la Méditerranée, la foule ne nous a pas manqué !) Du contraste des champs de blés feignant de se jeter dans la mer, de jolies falaises taquinées par des parapentistes. En somme, de paix, de repos… et de sel marin. Mais l’écho du Vercors n’est jamais bien loin dans mon cœur et je réalise plus fort encore en revisitant la Normandie, le poids que nous portons quand à la mémoire, la transmission d’une conscience, l’héritage donné à la génération suivante.
Au sommaire :
Les plages du débarquement : le sable de l’Histoire
Il y a un paradoxe absolu de vivre et profiter de cette liberté si chère payée il y a 80 ans, en foulant le sable de ces plages si paisibles à présent. Le contraste est saisissant. Imaginez-vous 5 minutes profiter des petits bonheurs de la plage, comme d’habitude… Vivre pleinement le moment présent, puis, faire un flash-back… car sur cette même plage où vous pourriez tout à fait entendre « chouchous ! beignets !! » (accompagné de tous les goûts possibles), des balles sifflaient et anéantissaient des milliers de vies pourtant promises à un bel avenir. C’est effroyable.
Alors, ce genre de moments en famille, fait naître des idées : tout simplement écrire dans le sable… un message éphémère. Vraiment pas grand-chose. Si peu. Dire merci… à sa façon, pour ce sacrifice, pour toutes ces vies, pour cette joie simple de vivre cet instant en famille, pour cette magnifique liberté, aujourd’hui.
Les cimetières : américain et allemand
Lorsqu’on visite certains lieux historiques très chargés, il faut aussi penser à ménager les sensibilités de chacun, des plus petits surtout. Beaucoup parler, expliquer, rassurer.
Au cimetière américain, se faire prendre l’âme à vif par une cérémonie, entouré de toutes nationalités qui, avec toujours autant de respect déposent leur main sur leur cœur et prennent le temps de la mémoire. Puis répondre à une question inattendue et tellement bouleversante, qui vous transperce le cœur : « maman, est-ce qu’il y avait des papas ? »… « oui, ma chérie… ». Sachant la réflexion qui se cache derrière… Et une remarque si pertinente : « il y a beaucoup trop de croix, maman. ». On est bien d’accord… C’est d’ailleurs justement pour cela qu’on préfèrerait que les “va-t-en-guerre” se ressaisissent rapidement…
Car, s’ils ont le luxe de se réfugier dans leurs bunkers, les peuples, eux, y laissent leur chair et leur sang, un père, un frère, un fils, un mari… des vies et des cœurs brisés, bien trop de larmes. Même une seule vie, c’est déjà trop cher payé. Alors, s’ils pouvaient ravaler leur soif de pouvoir, se battre à la loyale sur un ring et nous laisser vivre en paix…
En Normandie, à quelques encablures du Mont St Michel, se trouve aussi un cimetière allemand. Au Mont d’Huisnes. Là, reposent des soldats… Mais aussi, provenant d’un camp d’internement administré par les français en 1945 : des civils, des enfants et des nourrissons de diverses nationalités, dans une fosse commune – encore des tragédies silencieuses. Très peu visité, et pourtant… poignant.
A toutes ces mamans… de Normandie ou d’ailleurs
La guerre est une boucherie absolue. Elle vient particulièrement me chercher parce que j’en ai vu certains ravages dans ma propre famille, comme c’est le cas dans de milliers d’autres familles dans ce monde. En devenant mère, je repense souvent à toutes ces mamans (aux papas aussi bien sûr). Tout ce qu’elles ont traversé, pensé, analysé…, la souffrance immense de ne pas avoir pu protéger cet être si cher…, pire encore imaginer la violence de leur mort. A l’absence totale de justice ou de réparation possible. Toute cette dévastation que toutes ces guerres infames produisent.
J’aime tellement la phrase qui dit qu’aucune larme n’est vaine, qu’elles sont comme recueillies. Parfois, nos larmes deviennent nos prières les plus efficaces lorsque les mots ne suffisent plus. Comme un langage de l’âme. Et l’eau refait surface, encore et toujours. Mais dans cette mort de l’âme – ces cendres – les larmes viennent pourtant parfois couler sur des graines endormies afin d’en redonner la vie. C’est un paradoxe saisissant.
Il existe en réalité une grande diversité de guerres ou de conflits dans ce monde. Elles sont parfois si perverses et insidieuses. Comme la grenouille cuite à feux doux, peu à peu… Comment retrouver le chemin de la paix ? On se sent bien petit et sans défense…
Mais, le vent de la Manche semble encore murmurer les histoires de ceux qui ont tenu bon…
Résister, hier et aujourd’hui
Avant de quitter la Normandie, une étape s’imposait : le Mémorial de Caen. Ce lieu ne se contente pas d’exposer l’Histoire – il la fait résonner. Conçu comme un “musée pour la paix”, il rappelle que résister, c’est refuser la barbarie, mais aussi défendre la dignité humaine sous toutes ses formes.
En arpentant ces couloirs, je me suis souvenue que la résistance n’a jamais eu un seul visage. Certains ont pris les armes, d’autres ont choisi la plume, la foi ou le silence.
Il existe une littérature bien fournie sur la Résistance : celle de Normandie, celle du Vercors, celle de France et d’ailleurs, bien sûr. Mais j’aimerai vous partager une histoire longtemps restée classée Secret Défense. Car, récemment, une femme résistante a attiré mon attention.
Virginia Hall, la femme qui a trompé la Gestapo
Connaissez-vous Virginia Hall ? Quelle femme extraordinaire. Une de celles qui ne paye pas de mine. A tel point qu’elle faisait tourner en bourrique toute la Gestapo qui la surnommait “la femme la plus dangereuse d’Europe” et trembler Klaus Barbie, “le boucher de Lyon”, en personne. Amputée au niveau du genou avant la guerre, elle a fait de son handicap sa plus grande force, se faisant passer pour une vieille paysanne boiteuse alors qu’elle gérait toute une logistique et un réseau de résistants. Sa phrase préférée ? “Dubito ergo sum” : “Je doute donc je suis” – une devise qu’elle a transformée en arme de survie. C’est en suivant ce conseil avisé qu’elle a évité de peu une rafle à Marseille. Alors, s’il vous arrive de douter… peut-être faut-il juste suivre votre intuition !
À travers les siècles, d’autres femmes ont porté la flamme de la résistance, chacune à leur manière…
Marie Durand
« Resister », un simple mot. Mais aussi, tout un symbole, gravé sur une margelle, dans la tour de Constance de la forteresse d’Aigues-Mortes. Prison de Marie Durand en 1730, pendant 38 longues années. Son seul crime : ne pas abdiquer de son choix – sa liberté intérieure absolue, l’expression de sa foi – face à la persécution de la hiérarchie religieuse de son époque. Son courage individuel devient alors une force collective, un cri silencieux adressé à l’histoire : la liberté de conscience est inaliénable. Car cette liberté fondamentale touche à ce qu’on a de plus profond : notre rapport à la vérité, au bien, à la foi, à la dignité. C’est affirmer qu’aucune autorité au monde ne peut forcer un être humain à penser autrement que ce qu’il croit juste au plus profond de lui.
Leader dans l’âme, elle soutient moralement les autres prisonnières. Encore un “petit bout de femme“, résiliente et si inspirante… Qui a subi le froid et la faim, le manque des êtres chers. A qui on a volé toute sa vie et qui pourtant n’a pas choisi la haine ou la rancœur. Une sorte de “Nelson Mandela” française, bien trop peu connue, non pas une “sainte“, car ce n’est vraiment pas l’idée (si vous avez bien suivi…), mais une figure emblématique d’un peuple face à l’intolérance et au despotisme.
Résister aujourd’hui, revêt de nombreuses formes et s’invite dans de nombreux domaines, mais requiert le même courage et la même lucidité. Ainsi, transcender l’Histoire peut tout simplement et ordinairement se concrétiser par le fait d’aller travailler avec des gens qui ne partagent pas tout à fait les mêmes convictions, la même vision ou les mêmes valeurs. Et malgré tout, s’apprécier sincèrement et se respecter mutuellement.
Le bleuet, symbole de vie et d’espérance
Dans les pays du Commonwealth, c’est le coquelicot qui a été adopté (magnifique source d’inspiration pour de nombreux artistes comme Monet ou Van Gogh, par exemple). En France, le bleuet… fragile et tenace, première fleur à refleurir sur les champs de bataille après la guerre, symbolise à la fois la résilience, la mémoire et l’espoir. Plus qu’un détail, il dit ce que les mots ne savent plus dire : la vie qui continue, malgré tout.
Le Bleuet de France, que vous connaissez peut-être, est né d’un geste de solidarité, de reconstruction et d’amour, initié par des femmes dans l’ombre de la guerre. En 1916, deux femmes remarquables vont donner naissance à ce symbole devenu national : Suzanne Lenhardt, infirmière-major à l’Hôtel des Invalides et veuve de guerre, et Charlotte Malleterre, fille du commandant des Invalides, dont le mari était également tombé au front.
En voyant les soldats mutilés, désœuvrés, parfois désespérés, elles décident de leur redonner espoir et dignité en leur proposant une activité manuelle : fabriquer de petits bleuets en tissu. Ces fleurs étaient ensuite vendues au public, et les bénéfices permettaient d’apporter un peu d’argent aux blessés, et de financer l’aide aux anciens combattants et à leurs familles. Aujourd’hui encore, les fonds recueillis servent toujours à soutenir les anciens combattants, les victimes de guerre et d’attentats, et plus largement, les personnes blessées dans leur chair ou leur esprit par les conflits.
En avril 2025, Jean-Jacques Goldman a composé « On sera là », une chanson spécialement offerte au Bleuet de France, un hymne de solidarité et de soutien… suivi d’un mot simple et efficace : « Heureux et fier de pouvoir aider le Bleuet de France, qui accompagne ceux qui nous protègent et leurs familles. Bon concert à tous. Amicalement. JJG »
C’est ainsi qu’une simple fleur fragile est devenue symbole de paix, grâce à deux femmes qui ont choisi la création plutôt que la résignation. Une belle inspiration…
Conclusion
Je vous rassure, on n’a pas passé notre temps à se morfondre dans ces vieux souvenirs. Nous les avons simplement honorés. Car, bien sûr, il faut surtout ne rien oublier. Mais l’avantage avec les enfants, c’est qu’ils nous ramènent toujours dans le moment présent, dans cette joie simple de vivre, d’aimer. De profiter d’un goûter en bord de mer, de leur tenir la main, de ramasser des coquillages, de faire des blagues et autres jeux de mots…
Et puis, j’aurais bien un petit gite à vous conseiller, à la fois paisible, simple, isolé et typiquement normand, mais j’avoue qu’il était si bien… que pour l’instant je vais garder cette adresse au chaud pour une prochaine fois !
C’est vrai. La paix, ce n’est pas l’absence de guerre. Hélas.
Peut-être, est-ce cette main d’enfant dans la vôtre, sur une plage où tout renaît…



