Il existe des artistes qui ne peignent pas seulement avec des pigments, mais avec leur âme…
On connaît Antoine de Saint-Exupéry comme aviateur légendaire, écrivain visionnaire, humaniste inquiet pour son siècle. On le cite pour Le Petit Prince, ses lignes intemporelles sur l’essentiel, la relation, la responsabilité. On admire sa philosophie, sa lucidité et son courage.
Mais on oublie souvent que Saint-Exupéry explora aussi l’aquarelle, comme un créateur de couleurs et de transparence. Ses dessins ont façonné certains des personnages les plus universels de la littérature, dont Le – si attendrissant – Petit Prince. Ses aquarelles ne sont pas des illustrations secondaires : ce sont des fragments de sa conscience, de sa philosophie, de sa pensée, de son âme d’artiste.
Alors, comprendre ses aquarelles (bien sûr, celles du Petit Prince, mais aussi ses esquisses plus personnelles) c’est comprendre une dimension profonde de son humanisme. Car chez Saint-Exupéry, peindre, écrire et vivre procèdent du même geste intérieur : aller à l’essentiel, préserver la lumière, rendre visible l’invisible, retrouver le sens profond de l’existence.
Alors cet article explore cette dimension essentielle : l’homme, l’aviateur-explorateur, mais aussi le penseur, l’écrivain… et bien sûr : l’aquarelliste.
Au sommaire :
1. Un homme façonné par son siècle : le contexte historique
Saint-Exupéry naît en 1900, au seuil d’un siècle qui sera bouleversé par les guerres, les révolutions, les totalitarismes et la transformation radicale de la modernité. Son adolescence est marquée par la Grande Guerre, son âge adulte par l’essor industriel, la mécanisation, la vitesse.
Il devient pilote dans une aviation encore balbutiante, où chaque vol est une épreuve, un risque. Il a tout de la trempe des pionniers. L’homme qui écrit Vol de nuit ou Terre des hommes est un témoin privilégié d’un monde où l’humanité vacille ou se noie, où les systèmes s’effondrent ou tyrannisent, où l’homme perd ses repères. Les débuts de la post-modernité.
La montée des idéologies extrêmes, la crise des valeurs, la dégradation du lien humain et cette fameuse notion philosophique du « progrès », imprègnent toute son œuvre. Saint-Exupéry observe un siècle qui se durcit, qui oublie l’essentiel, qui sacrifie l’homme à la machine ou au pouvoir.
Si, à tout hasard, vous constatez quelque coïncidence avec notre société contemporaine et notre actualité, sachez que ce n’est (pas?) que pur hasard…
Mais lorsqu’on aime l’action, être témoin n’est pas suffisant… Face à cet effondrement, il cherche une voie : celle de la conscience, de la responsabilité, de la fraternité.
2. Sa philosophie : l’humanisme contre le vide
L’épreuve fondatrice du désert
Ce qui frappe chez Saint-Exupéry, c’est la manière dont il transforme l’épreuve en matière poétique.
Ainsi, l’ouverture du Petit Prince n’est pas un simple décor imaginaire : elle puise directement dans l’une des expériences les plus marquantes de la vie de l’auteur, son crash en 1935 dans le désert libyen.
Mais loin d’en faire un récit autobiographique, Saint-Exupéry transfigure cet événement. Le désert qu’il avait connu comme un lieu d’angoisse, de soif et de solitude devient dans son œuvre un espace de révélation, un territoire dépouillé où l’essentiel peut enfin apparaître. Là où le pilote réel avait rencontré un Bédouin venu les sauver, l’aviateur du conte rencontre un enfant venu sauver quelque chose de plus précieux encore : sa capacité d’émerveillement. En passant du vécu à la fable, Saint-Exupéry montre que le réel n’est jamais une fin en soi, mais un point de départ pour accéder à une vérité plus vaste.
L’épreuve de ce désert vient surprendre le lecteur, et dévoile une source inattendue : un espace symbolique, initiatique, une quête spirituelle et philosophique, où l’adulte réapprend à voir comme un enfant. Finalement, ce désert pourrait tout à fait être une forêt… mais en réalité le lieu n’est qu’un prétexte, peu importe l’endroit : c’est simplement une épopée en solitaire qui permet de retrouver le sens.
Saint-Exupéry n’est ni théoricien ni moraliste. Sa philosophie n’est jamais abstraite : elle naît de l’expérience (du désert, du vol, du silence, des rencontres). Il croit profondément en l’homme, non pas en l’homme idéalisé, parfait, mais en l’homme vulnérable, imparfait, qui se dépasse lorsqu’il accepte de servir quelque chose de plus grand que lui : une mission, une promesse, un sens.
Fraternité, essentiel, dépassement : les trois piliers de sa pensée
Sa pensée repose sur trois piliers :
- La fraternité : L’homme n’existe que par le lien. L’autre n’est pas un obstacle, mais une responsabilité. Ce même Saint-Exupéry qui est retourné chercher son grand ami Guillaumet qui avait survécu après un crash dans les Andes en 1930 et marché 5 jours dans un froid extrême.
- L’essentiel : Les choses vraiment importantes sont invisibles aux yeux. D’après Saint-Exupéry, ce sont l’amitié, le courage, la tendresse. Il semble difficile d’ajouter à cette belle liste la fidélité, car malgré les belles qualités dont il était doté, St-Ex avait quelques tendances marquées au papillonnage si on étudie de près le personnage, (et Sa Rose…) L’aviateur était probablement au bénéfice de son aura, ce qui devient tout à coup beaucoup moins noble ou poétique!
- Le dépassement : La grandeur naît de l’effort, de la résistance, du travail du sens.
Une responsabilité à protéger ou retrouver aujourd’hui encore
Cette philosophie humaniste se distille avec courage et passion dans toutes ses œuvres. L’humain, pour lui, est bien davantage que chair et sang :
« Sa grandeur c’est de se sentir responsable. Responsable de lui, du courrier et des camarades qui espèrent. Il tient dans ses mains leur peine ou leur joie. Responsable de ce qui se bâtit de neuf, là-bas, chez les vivants, à quoi il doit participer. Responsable un peu du destin des hommes, dans la mesure de son travail. Il fait partie des êtres larges qui acceptent de couvrir de larges horizons de leur feuillage. Être homme, c’est précisément être responsable. C’est connaître la honte en face d’une misère qui ne semblait pas dépendre de soi. C’est être fier d’une victoire que les camarades ont remportée. C’est sentir, en posant sa pierre, que l’on contribue à bâtir le monde. »
{ Pilote de guerre – St Exupéry }
L’aviateur avait alors entre ses mains et dans sa carlingue, une mission : ces lettres si importantes qu’attendaient par exemple les mères comme les soldats… qui disaient que l’être cher allait bien, qu’il était toujours vivant et surtout : un moyen phénoménal de garder le moral, se sachant aimé, compris, arraché à sa solitude. Il incarnait un pont entre deux vies, deux quotidiens, deux réalités. On était bien loin de se douter de l’existence possible de l’instantanéité d’un SMS… Des lettres avec de simples mots, mais qui transmettaient efficacement la vie.
Face à un monde saturé de bruits, d’idéologies, de ruses, d’illusions, Saint-Exupéry rappelle la nécessité de revenir à ce qui fonde la dignité humaine : la conscience personnelle. Un concept tout aussi central…
3. La conscience selon Saint-Exupéry : une boussole intérieure
« Quand nous prendrons conscience de notre rôle, même le plus effacé, alors seulement nous serons heureux. Alors seulement nous pourrons vivre en paix, car ce qui donne un sens à la vie donne un sens à la mort. »
{ Antoine de Saint-Exupéry }
Lucidité, responsabilité, résistance intérieure
La conscience est un mot-clé chez lui. Il ne désigne pas la culpabilité ou la morale, mais la lucidité profonde, l’étoile personnelle qui guide dans la nuit. D’ailleurs, les étoiles étaient un instrument de survie pour l’aviateur. On les observe pour se repérer dans l’immensité nocturne. Elles permettent de maintenir le cap en vol quand la terre disparaît. Les étoiles deviennent donc le symbole de ce qui guide, de ce qui donne une direction, même dans le noir. Elles symbolisent aussi les valeurs essentielles : l’amour, l’amitié, la fidélité, la responsabilité, la beauté discrète du monde. Pour Saint-Exupéry, la conscience est :
- Un regard honnête sur soi : Se voir comme on est vraiment. Reconnaître ses failles, ses peurs, ses paradoxes, ses responsabilités. Dans Pilote de guerre, il montre un homme qui agit non par héroïsme, mais par fidélité intérieure, fidélité à lui-même : à ses valeurs, à l’idée qu’il se fait d’être homme (dans le sens d’humain), fidélité à sa responsabilité envers les autres (la France, son équipage, son humanité).
- Une responsabilité envers autrui : On ne vit jamais seul. La conscience inclut l’autre, le fragile, celui que l’on aime, celui que l’on apprivoise – comme l’amitié de ce fameux renard.
- Un acte de résistance intérieure : Quand l’époque se dégrade, la conscience devient un refuge, une boussole. C’est cette lumière intime qui dit : « On ne m’achètera pas » ou, « Je veux rester humain. ».
- Une construction active du sens : Tout est à construire : la paix, l’amitié, le courage, l’amour. Rien n’est donné d’emblée.
On peut résumer en disant que la conscience, chez Saint-Exupéry, est une forme de noblesse. Une quête exigeante, parfois douloureuse, mais lumineuse.
Ce que notre époque a oublié
La conscience est aussi un thème fondateur de nos vies (que nous en soyons conscients ou non, d’ailleurs!). Ces dernières années ont probablement été pour beaucoup d’entre nous un terrain fertile pour la réveiller ou l’affiner tout à nouveau… Car, tout comme St-Ex en son temps, il y a de quoi être inquiet pour notre siècle… Cette conscience vient donc se heurter à nos limites ou nos contraintes, aux tensions existentielles.
Le seul inconvénient avec la conscience, c’est qu’elle est élastique : plus on joue avec, moins elle est efficace ! Rabelais le disait : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». Alors la conscience forge l’âme… seulement si on veut bien la laisser continuer à faire ce pourquoi elle a été créée… La vie nous enseigne, l’expérience nous sculpte, et c’est d’ailleurs bien souvent dans la douleur que se cache la lumière de la compréhension (si seulement il pouvait en être autrement !!). Le réveil est parfois brutal.
Notre capacité d’empathie s’éveille aussi lorsque notre âme prend conscience et ressent la vie des autres – du plus jeune au plus âgé : une vie digne, fragile et précieuse à la fois. A protéger. C’est une forme de sagesse de la compassion et du respect, disons. La conscience, c’est aussi savoir intérieurement ce qui est bien ou mal, s’orienter vers le vrai, le juste, le beau, éprouver le poids de ses choix. Elle s’ancre si souvent dans la lenteur et le mystère. Elle a toujours le choix finalement : celui de partir au gré du vent du cœur ou de ses envies, ou de posséder une solide colonne vertébrale : celle des convictions.
Alors, face au retour du bruit des bottes, il y aura toujours, et cela, même s’ils sont dénigrés, celui des sabots : ceux-là même qui, lors des grèves au début du siècle dernier, étaient jetés volontairement dans les machines afin de les enrayer – elles, symboles d’inhumanité. C’est d’ailleurs l’origine du mot “sabotage” : stopper la violence ou la vitesse de la machine, au prix si coûteux de la casser, comme un acte de résistance ou de survie, mais pour protéger l’essentiel : l’humanité.
Cette conscience est notre liberté suprême, c’est ce qui nous séparera toujours des machines ou des systèmes, finalement. Au fond, c’est dire que le progrès technique n’est beau et n’a de sens que s’il est au service d’une humanité, d’une fraternité. Ca n’est pas sans rappeler ce cher Charlie Chaplin, n’est-ce pas ?
4. L’art de l’écriture : une quête de vérité
Ecrire, c’est poser sa pensée. Et Saint-Exupéry écrit comme on taille une pierre : il enlève, il simplifie, il dépouille jusqu’à atteindre la vérité pure d’une idée. Un Michel Ange de l’écriture…
Son style est marqué par des phrases courtes mais vertigineuses, des métaphores puissantes, un sens du symbole, une écriture qui respire comme l’air du désert. D’ailleurs, tout respire le voyage et l’exploration. Son écriture ne cherche pas la beauté pour elle-même, mais la vérité émotionnelle, humaine. Elle est le prolongement direct de sa conscience et de son regard sur le monde.
Dans ce dépouillement maîtrisé, cette vulnérabilité, on retrouve exactement ce qui caractérise son art aquarellé : lumière, réserve, tension vers l’essentiel.
En réalité, ce qui fait la plus grande force de St Exupéry, c’est cette poésie magnifique qu’il saupoudre naturellement dans ses textes, ce respect envers l’humain. Et cette poésie est le médium principal qui nous permet d’accueillir sa quête de vérité, et la recevoir dans nos vies. Puis la distiller à notre tour.
Van Gogh l’a si bien dit lui aussi : « L’art est pour consoler ceux que la vie brise ». C’est cette lumière, cette lueur d’espoir, cette fraternité, cette si belle responsabilité qui l’habitait. Et c’est aussi notre émerveillement d’humain… envers et contre tout. Retrouver le sens, “l’être”, là où nous sommes. L’essentiel est là.
Et c’est ainsi qu’on retrouve la clarté, l’air des montagnes. Tel un aigle.
“C’est votre attitude et non vos aptitudes qui déterminent votre altitude.”
{ Zig Ziglar }
5. Saint-Exupéry, l’artiste : ses aquarelles, son geste, sa vision
Pour la petite histoire, l’aquarelle est apparue dans la vie d’Antoine de Saint-Exupéry alors qu’il se trouvait sur un lit d’hôpital. C’est René Clair qui lui en a fait cadeau pour occuper le temps et c’est donc là qu’auraient été ébauchées les toutes premières aquarelles du Petit Prince. Et, summum du détail : non pas sur un papier extra qualité… mais sur du simple papier à grammage basique !
Il est vrai qu’on connaît surtout ses aquarelles du Petit Prince, mais Saint-Exupéry dessinait depuis longtemps. Pour lui, le dessin était une pensée visuelle, un laboratoire d’idées, un lieu d’intuition. Les aquarelles du Petit Prince ne sont pas des ornements : ce sont des clés de compréhension du texte.
Leur esthétique est marquée par :
- La transparence : Les couleurs sont aériennes, fragiles, discrètes presque timides. Elles disent la vulnérabilité du Petit Prince, de la rose, du renard, et, au fond, de l’enfant intérieur.
- Le blanc comme espace sacré : Le blanc n’est pas vide, pour lui, c’est le souffle ! C’est un silence, une attente, une respiration. Il laisse à l’imagination du lecteur un espace de liberté.
- La ligne sincère : Le trait est souple, parfois hésitant. Il ne cherche pas la virtuosité, mais la vérité. Il dit : “Je suis humain.” Imparfait…
- L’épure : Le superflu disparaît. Reste l’essentiel : l’émotion.
C’est exactement ce qui donne sa beauté à l’aquarelle : laisser la lumière faire le travail, accepter l’accident, faire confiance au blanc, faire parler la simplicité. Il avait tout compris…
6. Pourquoi l’aquarelle ? Le medium parfait pour son âme
Si Saint-Exupéry avait choisi l’huile ou l’acrylique, son univers aurait changé. L’aquarelle, elle, épouse son âme :
- Elle révèle la lumière : L’aquarelle n’est pas un medium de recouvrement. Elle laisse passer la clarté, comme une vérité intérieure. Comme la lumière de l’allumeur de réverbère – mais en beaucoup moins fatigant…!
- Elle accepte la fragilité : Un geste trop appuyé détruit la transparence. Comme la vie, l’aquarelle exige humilité.
- Elle laisse place au hasard : Les pigments et l’eau dialoguent. On guide, mais on ne maîtrise pas tout. Comme en vol, tiens !
- Elle parle la langue de l’enfance : L’aquarelle est légère, sincère, spontanée… comme l’esprit du Petit Prince ! Elle ose inventer, expérimenter.
- Elle reflète sa philosophie du dépouillement : Peindre peu, mais juste. Suggérer plutôt que démontrer. Montrer la lumière plutôt que la forme.
- Et, accessoirement, l’aquarelle est le médium parfait du voyage…
Le dessin était une manière pour lui de clarifier une idée, non un acte artistique réfléchi. Le choix de l’aquarelle semble donc être à la fois pratique, expressif et naturel.
7. L’aquarelle, l’écriture et le vol : un même mouvement
Le lien entre ces trois gestes est profond. Voler, c’est chercher l’altitude, la clarté, l’expérience de la liberté. Écrire, c’est développer tout en allant au cœur, couper, simplifier. Et peindre à l’aquarelle, c’est accepter le blanc, l’accident, la nuance, le silence. L’idée ou l’émotion qui voyage jusqu’à maturation.
Même philosophie. Même souffle. Même direction intérieure. Saint-Exupéry peint comme il écrit : avec sincérité, économie, transparence. Et il écrit comme il vole : avec exigence, courage, élévation. Tout est liberté et profondeur.
8. L’héritage : ce que la peinture de Saint-Exupéry apporte aux artistes d’aujourd’hui
L’aquarelliste d’aujourd’hui peut apprendre beaucoup de Saint-Exupéry :
- Peindre vrai : ne pas chercher l’effet, mais la justesse émotionnelle.
- Laisser respirer la lumière : Le blanc de la page est un allié, un souffle.
- Assumer la fragilité : Les pigments qui filent, l’eau qui surprend : c’est la vie en couleurs.
- Chercher l’essentiel : La beauté naît de la simplicité.
- Peindre comme un acte de conscience : Chaque geste est intention, présence, dialogue avec soi et avec le monde.
Alors St Exupéry nous offre cette filiation, cette fraternité, cet héritage… Une philosophie du partage, une conscience des temps dans lesquels nous vivons, un art vrai, authentique, terriblement enraciné dans notre humanité.
Conclusion
Saint-Exupéry n’a jamais vraiment quitté notre siècle – il continue de l’éclairer. Sa vie et son époque résonnent étrangement avec la nôtre, comme un miroir tendu au présent. Car rien n’a changé au fond. Ses écrits sont donc brûlants d’actualité. Il suffit de transposer : nous vivons, comme lui, dans un monde qui court après un progrès parfois aveugle, où l’hyper-connexion côtoie une profonde solitude, où la performance éclipse la présence, où l’abondance d’informations écrase l’essentiel, où l’individualisme détruit l’engagement.
Nous avançons dans une modernité fascinée par ses propres prouesses : transhumanisme, scientisme, idéologies dominantes… Dans une pseudo post-modernité où le bon sens est remplacé par des systèmes et concepts pervers ou absurdes orchestrés et mis en place au nez et à la barbe de tous. Mais qui laissent aussi sur le carreau une foule de gens isolés ou en perte de sens, désensibilisés, déresponsabilisés, anesthésiés… numérisés mais déshumanisés. Poussés dans la vitesse du conformisme et de la compétition sans merci. Entassés, contrôlables à souhait. Face à l’absurde, la provocation, la culpabilisation, le voyeurisme, ou cette guerre de l’attention à tout prix… Pris dans ce tourbillon qui s’accélère, tel des allumeurs de réverbère. Car asservir n’a toujours qu’un seul but.
Nous vivons, nous aussi, les mêmes tensions que St Exupéry. Tout pousse à la désillusion, au désengagement, à la solitude. Et un constat : celui d’une humanité capable du pire comme du meilleur. Et pourtant… peut-être est-ce à notre tour de penser le monde. Avec nos petits sabots.
Chaque désert contient sa part salvatrice. Un lieu où retrouver le chemin de la lucidité, de la solitude habitée, ancrée, joyeuse, fertile, vivante et choisie. Une forêt, qui remet les pendules à l’heure. Un espace où retrouver les racines : la force silencieuse, le pilier central que peuvent constituer la fidélité à la famille, et à la communauté simple, ordinaire, choisie. Un lieu où renait une approche holistique, une réelle présence. Bref, un lieu de respiration, où choisir une poésie, une lenteur, un mystère… une petite rébellion. Un voyage… une liberté.
Saint-Exupéry nous laisse un héritage immense, les jalons d’une « Renaissance contemporaine » : une œuvre qui éclaire notre humanité, une philosophie qui rappelle l’essentiel, un courage moral rare, une conscience qui console et élève. Et il nous laisse aussi quelque chose de plus discret, de plus intime : des aquarelles délicates, fragiles, transparentes, qui portent en elles la lumière même de son regard. Peindre, écrire, voler – pour lui – n’était qu’un seul geste. Une manière de célébrer l’émerveillement, la beauté du monde, la valeur intrinsèque de l’homme, la nécessité du lien.
Ses aquarelles ne sont pas seulement des illustrations : ce sont des étoiles. Des petites lumières qui disent que l’essentiel est toujours, toujours invisible aux yeux, mais étonnamment visible à travers ses mots, ses voyages… et une petite touche d’aquarelle.
Et peut-être est-ce cela, aujourd’hui, notre petite part de résistance : devenir, chacun à notre mesure, ces petites lumières locales, humaines, chaleureuses – celles qui éclairent sans bruit, mais qui éclairent juste.
L’aquarelle de Saint-Exupéry n’était pas un art décoratif. Tout comme ses livres. C’était une lanterne.
Une manière de dire : “Voici l’essentiel, voici la part d’enfance dont le monde a encore besoin.”
Alors oui…
À nos lanternes…
Et surtout : à cette humanité retrouvée.
(…) ” C’est un tout petit monde
L’eau, le soleil, et le sel
Les naissances et les tombes
Et l’essentiel, le ciel
Partout la même prière
D’une mère qui attend
Que baisse la fièvre
Dans les mêmes yeux d’enfantsC’est un tout petit monde
Fragile au creux de nos mains
Balançant ses secondes
Entre tellement et rien
Et partout la même histoire
De pouvoirs à partager
Et si peu de mémoire
Du sang, des larmes versés ” (…){ Jean-Jacques Goldman }
“C’est un tout petit monde” – Album “Entre gris clair et gris foncé”





