Avez-vous déjà remarqué combien la nature est généreuse ? Si vous avez tenté de faire votre potager, vous aurez alors rapidement observé qu’une seule graine ou un seul plant a la faculté, non seulement de vous donner une belle récolte, mais aussi un héritage, une descendance : des dizaines de nouvelles graines. Comme une promesse silencieuse que vous ne manquerez jamais de rien. Une magnifique leçon de mathématiques : l’art et la culture de la multiplication. Quelle inspiration cette nature, décidément !
Au sommaire :
Les turbulences, ces drôles de graines…
Si vous connaissez un peu l’agriculture, vous savez sûrement que la terre est d’abord labourée pour préparer une nouvelle culture. Ainsi, les graines décuplent leur chance de bien germer et de donner un fruit plus abondant. Le sol est la base, rien ne se voit et pourtant, il s’en passe des choses sous terre…!
“Le meilleur pour les turbulences de l’esprit c’est apprendre, c’est la seule chose qui n’échoue jamais”.
{ Marguerite Yourcenar }
Il en est ainsi de nos vies, parfois elles subissent un labour douloureux, silencieux ou dans l’ombre. Car les mauvaises herbes ou les anciennes cultures doivent faire place à de nouvelles graines. Et cela passe parfois (souvent) par des turbulences, un labour, une refonte. Ces bouleversements, aussi rudes soient-ils, ne disqualifient pas. Ils sont souvent une condition d’une renaissance intérieure, ou l’opportunité d’une nouvelle créativité. Ce sont en réalité des diamants pour nos vies, même s’ils ne nous semblent pas l’être. Le prix de la croissance n’est jamais de tout repos, mais l’important est toujours d’être bien entouré. Et savoir apprendre – tout comme désapprendre – est une compétence et un processus qui demandent temps, confiance et conscience… (cf. métacognition).
Adapté au monde de la navigation, les turbulences viennent aussi tester le bateau et ses marins, éprouver l’essence de leur vie, et leur cap. « Dans un port le bateau est en sécurité, mais ce n’est pas pour cela qu’il a été construit. » (John A. Shedd). Les drôles d’aventures de la vie.
Et lorsque le vent se calme après la tempête, il reste ce besoin fondamental : retrouver le sol, nos racines, ce qui nous tient debout, et nos proches qui nous attendent au port.
Sagesse paysanne : les racines de la culture
S’il est une des choses fondamentales que la vie nous rappelle parfois, c’est justement le cap, le recentrage. Se rappeler qui l’on est. Accepter sa propre histoire. Dépasser les “à quoi bon“, faire mourir les attentes… les sirènes (fausses, irréalistes ou trompeuses), et laisser renaître à nouveau ce qui vit en soi, nos désirs sains et lucides, nos élans d’âme, notre propre confiance, nos valeurs, notre paix et notre joie. Réapprendre à les offrir ainsi qu’à les protéger, avec cet équilibre délicat mais vital.
C’est peut-être un peu cela, au fond, les racines de la culture : apprendre à retourner puiser à la source de son inspiration et de sa création artistique, la protéger et la laisser s’exprimer, tout à nouveau. Paisiblement.
Et c’est peut-être là que l’art rejoint la terre : tous deux naissent du même besoin de cultiver et de transmettre.
Car au fond, créer, c’est aussi semer. Semer des idées, des émotions, des visions. L’artiste n’est pas si différent du paysan : il prépare sa terre intérieure, taille, arrose, espère… avant que ne germe quelque chose de vivant.
Alors, transposé à l’art, je me suis rappelé que le meilleur des arts, pour moi, a toujours été lorsque le message dépasse les individus, pour s’inscrire dans quelque chose de plus vaste, qui nous dépasse et qui circule librement.
“Il n’y a rien de noble à être supérieur à son prochain
La vraie noblesse, c’est d’être supérieur à son ancien soi.”
~ Ernest Hemingway ~
Bien que beaucoup d’entre nous soyons citadins aujourd’hui, si nous creusons notre arbre généalogique, nous découvrirons vite que la plupart de nos racines plongent dans nos campagnes ou nos montagnes. Et si ces lieux sont parfois associés à la “beaufitude”, j’y vois pour ma part beaucoup de noblesse : Celle du cœur évidemment, celle des valeurs, d’un dur labeur (humble, silencieux, puissant), de la résilience, du respect, de la communauté, de la nature, de la création.
Nous sommes donc tous un joli mélange d’anthropologie, de sociologie, d’humanisme. Indéniablement. Autrement dit un tissage de vies, de lieux et de cultures. Et pourtant…
Ces dernières années, particulièrement, il n’est pas difficile de constater qu’un travail de fond insidieux, à bas bruit, semble à l’œuvre. Comme pour contrôler, modifier, effacer ou saper les racines, tant locales que familiales. Comme si nous devions en avoir honte, alors que nous pouvons en être simplement heureux et les aimer, les honorer pour ce qu’elles sont. Les protéger sans haine, fierté mal placée, ni parti pris, mais avec douceur et discernement.
Alors, apprendre, pour retrouver sa source, ces belles graines. Pour s’améliorer, encore et toujours, comme une transmission de l’esprit et du cœur.
Peut-être que la culture, c’est aussi savoir protéger ces magnifiques racines laissées en héritage. Un héritage artistique et humain. Et les distiller avec sagesse, un soupçon de noblesse et une pincée d’humour.
Lâcher prise pour laisser l’art germer
En tant qu’artistes, nous ne sommes pas des vendeurs d’émotions, c’est tellement plus profond et vivant que cela. C’est justement lorsqu’on libère son art, au-delà de soi et de notre petite “gloire” éphémère et si futile, qu’il atteint sa cible. Car nous en lâchons le contrôle, comme en aquarelle, pour laisser l’art faire son œuvre. Germer, pousser. Et porter du fruit dans l’invisible. Dans de nouvelles terres labourées, prêtes à le recevoir à leur tour. C’est là que l’art devient véritablement culture : un souffle qui circule d’une personne à une autre, au-delà de soi, au-delà des frontières (physiques ou immatérielles), au-delà du temps.
Evidemment, la source évoque aussi les racines : l’œuvre garde bien sûr l’empreinte de son créateur, son énergie et son histoire. Mais une fois transmise – peu importe le moyen – elle devient plus vaste que lui…
Le fruit de la liberté
“Si vous avez du pain, et si moi j’ai un euro, si je vous achète le pain, j’aurai le pain et vous aurez l’euro et vous voyez dans cet échange un équilibre, c’est-à-dire : A a un euro, B a un pain. Et dans l’autre cas B a le pain et A a l’euro. Donc, c’est un équilibre parfait.
Mais, si vous avez un sonnet de Verlaine, ou le théorème de Pythagore, et que moi je n’ai rien, et si vous me les enseignez, à la fin de cet échange-là, j’aurai le sonnet et le théorème, mais vous les aurez gardés. Dans le premier cas, il y a un équilibre, c’est la marchandise, dans le second il y a un accroissement, c’est la culture.”
{ Michel Serres }
L’art ne peut donc pas se définir simplement comme une marchandise. Car vendre de l’art, c’est certainement beau, mais en partager l’essence, c’est encore mieux ! L’artiste, donc, n’est pas non plus la finalité, l’objectif ou le centre de son art : c’est le message qui l’est. Et ce message est profondément libre, il ne nous appartient pas. Aussi libre que mes animaux aquarellés “made in Vercors” ou mes fleurs drômoises. Il nous survivra – dans le cœur de nos proches avant tout – parce qu’il s’agit de transmettre la vie, tout simplement. (Et l’héritage par excellence, ce sont les enfants !) Lorsqu’elle est fragile, cette vie, il faut en protéger férocement l’équilibre, et lorsqu’elle prend de la force, elle se vit abondamment : c’est l’accroissement, la multiplication, la culture. Ah, cette si belle sagesse paysanne !
Le fruit durable de la liberté, c’est donc la vie. Car la vie véritable est aussi libre que gratuite. Elle s’offre, sans manque, duperie, dette ni contrepartie. Et c’est ce qui en fait toute la force et l’authenticité. Ainsi, l’art et la culture s’unissent dans ce mouvement vital : protéger la vie, la célébrer et la transmettre, toujours plus loin. L’objectif n’est plus l’équilibre, mais l’accroissement. Donner cette vie ne la divise pas, mais la multiplie, comme une graine possède la capacité d’en donner 30, 60 ou même 100 : elle est pas belle la vie ?
Mais je me dois de le dire, l’agriculture est loin d’être toujours une partie de plaisir : Savez-vous comment mon grand-père, arboriculteur, faisait pour que ses arbres fruitiers portent davantage de fruits ? Je vous passe l’aspect controversé des traitements sulfatés qui ont gravement et si tristement endommagé sa santé… pour me concentrer sur une autre stratégie : Il coupait volontairement certaines branches. Pas forcément des branches mortes, d’ailleurs, mais aussi des branches bien vivantes. Car pour multiplier, il faut parfois aussi faire des choix. Un choix douloureux mais crucial qui permet à la lumière de mieux passer parmi le feuillage. Si l’arbre ne produisait toujours pas suffisamment, la majeure partie du temps il était abattu. Quelle dure loi ! It’s so hard to be a tree!
Pour en revenir à nos graines, c’est donc sans oublier qu’après le labour, un jour le champ verdit, puis blanchit et ensuite vient la récolte. Toujours. C’est la loi des saisons…
Ainsi va la vie : de l’idée à la graine, de la graine au fruit, du fruit au partage. Et avec le partage, vient le plaisir simple de savourer.
Conclusion : La cerise sur le gâteau
La cerise ? Après la récolte, vient toujours le temps des recettes. Encore une autre manière de partager et transformer toutes ces graines. Car c’est exponentiel ! Et comme j’aime les cerises (c’est ma petite madeleine de Proust! mon Ode à la cerise), en cliquant sur l’image ci-dessus, vous trouverez une belle recette de Clafoutis (même s’il est vrai qu’une simple cerise donne déjà l’essentiel!), ainsi qu’une petite recette sans prétention à base d’œufs… du Vercors. Il y a de grandes chances pour que mes chères grands-mères les aient aussi cuisinées…
Après tout ce labeur, la dégustation, c’est le repos bien mérité ! Le repos du guerrier. Puis, la sieste méridionale traditionnelle, évidemment ! …Et bon appétit, bien sûr !
“La joie est un besoin essentiel de l’âme. Le manque de joie, qu’il s’agisse du malheur ou simplement d’ennui est un état de maladie, où l’intelligence, le courage et la générosité s’éteignent. C’est une asphyxie. La pensée humaine se nourrit de joie.”
{ Simon Veil }
Alors, parfois, pour la retrouver, il faut la semer, cette joie…! Il parait qu’on peut même la retrouver au fin fond d’une forêt…! Petite allusion à ma Série Forest, que vous pourrez admirer dans ma Galerie !
Et la petite pincée d’humour pour finir :
“Cours après tes rêves, si tu ne les atteints pas, au moins tu maigriras !”



